http://www.teaching-design.com/pdf/...

PRENDRE LA MESURE DES FRONTIERES : UN POINT DE VUE EUROPEEN

"Borders" signifie "frontières" qui revêt ici plusieurs sens : qu’elle soit entrave, limite ou passage de douane, fracture temporelle, culturelle ou générationelle - The Wall, Pink Floyd - la métaphore du mur n’est pas anodine - la frontière est révélatrice d’un jalonnement psychologique qu’elle maintient en place en tenant "l’autre" à l’écart, en se préservant de toute intrusion. Est-elle jonction de deux territoires ou morcellement d’un seul et même jardin ? Sa persistance dans une civilisation supposée mondialisée / pacifiée / égalitaire nous rappelle âprement que les temps n’ont guère changé, qu’identité nationale et guerre économique ont pris le dessus sur l’esclavage colonial et les batailles de tranchées. Il n’est pas aisé, quand on a grandi dans l’espace Schengen, fort de notre monnaie unique, de prendre réellement la mesure de la réalité des frontières. Par orgueil et par idéal, je demeure enclin à rejeter toute forme de barrières entre les peuples. Et le fait qu’à Grenoble toutes les semaines, des potes soient arrêtés puis expulsés parce qu’il n’ont pas de papiers… n’y est pas étranger (Régis, Nadjib, Ibrahim...).

DES BARBELES CONTRE LES PAUVRES

Je suis enthousiasmé par le projet Comenius car il me semble véhiculer une alternative à l’expression de l’idée de nations purement antagonistes qui sévit dans les champs sportifs, économiques.… Je sais que les murs invisibles, culturels, sociaux, psychologiques, tendent systématiquement à se matérialiser. J’en ai trouvé l’exemple dans la banlieue de Caracas au Venezuela où les classes moyennes font élever des barbelés autours des ranchos (bidonvilles) pour canaliser les pauvres et s’en protéger. Le graphisme a certainement son rôle à jouer pour désamorcer ces problèmes quand ils surgissent, les tuer dans l’oeuf et ainsi faire l’économie de la sueur des ouvriers qui bâtissent les murailles, des veilleurs qui les surveillent, des anonymes qui les franchissent au péril de leur vie. Il me semble qu’il existe un graphisme affranchi des principes marketing - érigés en dogme dans la discipline - lesquels ont pour effet surtout la reproduction et l’exacerbation d’une réalité biaisée ( en ciblant des groupes sociaux selon des visions déjà archétypales : jeune skateur, femme active, retraité myope ). Il existe un graphisme qui n’est ni "publicitaire" ni "d’utilité publique" définie par qui, au nom de quoi ? , un graphisme responsable, militant, de combat. Et celui-ci n’est pas porté par les "grands noms" car il est une arme au service du changement social, qu’il a des vues plus longues que celle des intérêts carriéristes de ses auteurs. Peut-être nait-il, entre autres, dans ces moments là.

UN RANCH : LA NOTION DE PROPRIETE MISE EN IMAGE

Parce que quelques nantis possèdent les terres que d’autres cultivent, que l’accès à la terre est de plus en plus problématique, qu’il s’en suit une perte d’autonomie des individus vis-à-vis du marché très dommageable à la recherche d’autres rapports sociaux, je voulais poser la question agraire, dénoncerles terratenientes, ces propriétaires de ranchs disproportionnés. La clôture dans la prairie. Une tendance au barricadage très "far west", qu’il m’a fallu assumer dans le choix typographique qui est un mot imagecomme un nuage qui passe, à bords perdus. Il y a un choix de montrer le contraste profusion/aridité : j’y vois une représentation de l’homme moderne individualiste qui voit petit à petit se dégrader l’espace publique mais s’obstine à ne cultiver que sa propriété. Le point de vue aérien était le plus propice à pointer du doigt ce caractère.

J’ai pris plaisir à concevoir cette image. Je n’ai pas fait ce visuel parce que je désire devenir propriétaire. La propriété met des frontières partout. Je l’ai fait parce que je veux abolir la propriété.

Arthur Wagon, élèves d’arts appliqués, Lycée Marie Curie d’Echirolles